Repenser le tourisme

Publié aujourd'hui le message du Card. Michael Czerny pour la Journée mondiale du tourisme 2022

La Journée mondiale du tourisme 2022 est consacrée au thème : « Repenser le tourisme ». La crise sanitaire, qui a commencé à la fin de l’année 2019 et qui n’est pas encore terminée, a confronté chacun à des problèmes qui viennent de loin, et a mis en évidence d’autres problèmes, nouveaux et inattendus. Elle nous a certainement pris par surprise. Le secteur du tourisme a été l’une des activités humaines les plus touchées par cette crise, mais, paradoxalement, il peut maintenant devenir l’un des moteurs de la reconstruction d’un monde plus juste, durable et intégral. L’Église regarde donc la renaissance et le renouveau du tourisme avec espérance.

Un tourisme plus juste

Le redémarrage du tourisme peut se référer aux principes qui ont inspiré le Code mondial d’éthique du tourisme, qui conçoit cette activité, entre autres, comme « une force vitale au service de la paix et un facteur d’amitié et de compréhension entre les peuples du monde », « un facteur de développement durable », « un moyen d’utiliser le patrimoine culturel de l’humanité pour contribuer à son enrichissement », « une activité bénéfique pour les pays et les communautés qui l’accueillent ». Ce sont des éléments fondamentaux pour construire la fraternité et l’amitié sociale, mais surtout pour servir le développement humain intégral.

Cela signifie que l’activité touristique, en tant que véritable industrie économique, doit être exercée selon des principes d’équité et de transformation sociale. C’est pourquoi il est urgent de changer de cap et de démontrer que nous savons sortir meilleurs d’une crise qui a révélé tant d’inégalités et d’injustices. C’est le cas, par exemple, lorsque les droits du travail des personnes travaillant dans le secteur sont respectés, à tous les niveaux et dans tous les pays, et lorsque le tourisme lui-même, en tant qu’activité de loisir et de détente, est pratiqué dans le plein respect des droits fondamentaux et de la dignité des personnes [1]. La justice, c’est aussi le partage équitable des bénéfices, au-delà d’une logique prédatrice, notamment à l’égard des populations et des zones géographiques particulièrement éprouvées par les multiples crises qui secouent le monde actuel [2].

À cet égard, nous tenons à exprimer notre sympathie à tous les opérateurs du secteur touristique qui agissent déjà en toute bonne conscience et qui ont construit non seulement leur professionnalisme, mais aussi leur vie autour de la valeur d’hospitalité. Le monde ne manque pas d’entrepreneurs attentifs aux plus vulnérables et aux travailleurs exposés à l’exploitation, en particulier le personnel saisonnier qui accomplit les tâches les plus subalternes au service des touristes. Cependant, une fois de plus, il faut dénoncer le fait que « beaucoup travaillent dans des conditions précaires et parfois illégales, avec des salaires inégaux, contraints à un travail fatigant, souvent loin de la famille, avec un risque élevé de stress et pliés aux règles d’une concurrence agressive » [3]. Les chrétiens sont invités à faire alliance avec toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté, car cela doit changer.

Un tourisme plus durable

Redémarrer, c’est aussi ne pas oublier que l’impact du tourisme sur l’environnement est très important. Le paradigme dominant de la maximisation de la consommation peut rapidement et brutalement l’endommager [4]. Avec la pandémie et la crise énergétique actuelle, il est devenu plus évident qu’il est bon de se concentrer avant tout sur le tourisme de proximité : savoir regarder autour de soi, reconnaître et apprécier les trésors patrimoniaux, culinaires, folkloriques, voire spirituels, que les régions voisines ont à partager. Aujourd’hui, les politiques locales peuvent être profondément repensées en matière d’hospitalité et de qualité de vie pour les autochtones historiques, les nouveaux arrivants et les voisins immédiats.

Par ailleurs, à l’échelle planétaire, les flux de marchandises, les mouvements de personnes pour le tourisme et les rythmes de consommation doivent certainement être recalibrés pour instaurer une relation adaptée entre les êtres humains et la création. La durabilité du tourisme, en effet, ne se mesure pas seulement en termes de pollution, mais aussi en termes d'impact sur la biodiversité des écosystèmes naturels et sociaux : il faut une sensibilité qui élargisse concrètement la protection des écosystèmes, afin d'assurer un passage harmonieux des touristes dans des environnements qui ne leur appartiennent pas, ni à eux ni à une génération seulement. Le changement climatique, quant à lui, peut affecter négativement, dans une perspective à moyen terme, l'attractivité de nombreuses destinations traditionnelles, avec le risque de pénaliser davantage des régions déjà économiquement fragiles à cet égard. La protection de la biodiversité et l’émerveillement devant les merveilles de la création doivent donc coexister dans un tourisme « repensé ».

Un tourisme intégral

Le tourisme offre d’énormes possibilités d’interaction entre l’esprit humain et l’Esprit de Dieu, activant une rencontre entre les diversités [5]. Les résistances et les oppositions ne manquent pas. Nous pouvons voir, par exemple, comment l’espace culturel pour inclure les différentes façons de penser et de vivre se rétrécit. Le système de production, même dans l’industrie du tourisme, évolue rapidement vers la standardisation des expériences, surtout à travers la limitation des temps (de visite, de voyage, de séjour), ce qui développe une expérience plus individualiste et moins collective. Un tourisme qui redémarre doit garder à l’esprit la « vision intégrale de la personne », qui, comme le souligne le Pape François, n’est pas une théorie, mais « une manière de vivre et d’agir ; une telle vision ne se trouve pas d’abord dans un manuel, mais dans les personnes qui vivent avec ce style : les yeux ouverts sur le monde, les mains jointes à d’autres mains, le cœur sensible aux vulnérabilités de leurs frères et sœurs » [6]. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut rencontrer une culture différente, s’interroger sur son histoire, découvrir les valeurs profondes qu’elle porte. En somme, le tourisme est aussi appelé à s’inscrire dans la perspective de l’écologie intégrale [7]. En effet, il peut soutenir la capacité de « régénération » d’une communauté en favorisant le dialogue entre les codes culturels locaux et les modes de vie des visiteurs. L’hébergement touristique devient alors un moyen de transformer les espaces civiques, l’environnement social et urbain, en valorisant les identités dans un juste équilibre entre la préservation des racines et l’offre de services.

Le tourisme pour cultiver l'espérance

L’Église catholique est très attachée à promouvoir cette vision renouvelée du tourisme inscrite dans la perspective du développement humain intégral. Le processus synodal, qu’elle expérimente dans le monde entier en partant des communautés les plus périphériques jusqu’aux centres de décision les plus importants, représente une méthode d’écoute et de participation, qui peut également apporter à la société civile et aux organisations économiques une plus grande aptitude à résoudre les conflits d’intérêts et de points de vue. L’art du discernement et la capacité collective à parvenir à de nouvelles synthèses représentent des défis d’époque, dont dépend un avenir à taille humaine pour tous. Ces perspectives feront l’objet d’une réflexion approfondie au cours des travaux du VIIIe Congrès mondial de la pastorale du tourisme, qui se tiendra à Saint-Jacques-de-Compostelle du 5 au 8 octobre 2022 et qui s’inscrit dans le cadre de l’Année sainte de Compostelle, avec pour thème : « Tourisme et pèlerinages : chemins d’espérance ». En effet, nous regardons avec espoir la vitalité du secteur, de tous ses acteurs et de tous ceux qui en ont la responsabilité. Reprenant les mots du Pape François, nous encourageons chacun à « garder allumée la flamme de l’espérance » et à « tout faire pour que chacun retrouve la force et la certitude de regarder l’avenir avec un esprit ouvert, un cœur confiant et une intelligence clairvoyante » [8].

 

Cardinal Michael Czerny S.J.

Préfet

 

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[1] cf. Vidéomessage du Saint-Père François à l’occasion de la 109e Réunion de la Conférence Internationale du Travail, 17 juin 2021.

[2] cf. Congrégation pour la doctrine de la foi/Dicastère pour le service du développement humain intégral, Oeconomicae et Pecuniariae Quaestiones. Considérations pour un discernement éthique concernant certains aspects du système économico-financier actuel, 6 janvier 2018, nn. 4, 8.

[3] cf. Message du Préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral à l'occasion de la Journée mondiale du tourisme 2019 : « Tourisme et travail : un meilleur avenir pour tous », 24 juillet 2019.

[4] cf. Lettre enc. Laudato Si’, nn. 18; 203.

[5] cf. Lettre enc. Fratelli Tutti, n. 215.

[6] cf. Discours aux membres du Centre de tourisme des jeunes, 22 mars 2019.

[7] cf. Lettre enc. Laudato Si’, chap. IV.

[8] cf. Lettre du Saint-Père François à S.E. Mgr Rino Fisichella pour le Jubilé 2025, 11 février 2022

27 septembre 2022